La composition des compagnies
Gabriel Daniel, tout comme Allain Manesson-Mallet [20], donne les indications suivantes [21]: "Outre ces officiers, il y a dans chaque Compagnie huit Sergents, quatre Trabans [=garde en langue allemande], cinq Tambours, un Fifre, six Caporaux et six anspessades [Mot corrompu de l'italien lancia spezzata, lance brisée]."
Pour comparer, Marcelle Benoit donne un aperçu de la composition de la Grande Écurie [22]:
- Chez M. le Grand Ecuyer dont ils dépendent, on regroupe ces officiers sous des titres de pure convention:
- Douze trompettes
- Douze joueurs de violon, hautbois, sacqueboutes et cornets
- Six hautbois et musettes de Poitou
- Huit fifres et tambours
- Cinq cromornes et trompettes marines
Elle nous donne aussi un inventaire précis des joueurs de fifres. Quelques exemples qui dissocient clairement les Cent Suisses des joueurs de fifre de la Grande Ecurie: en 1664, on recense 4 fifres dans l'Etat des officiers de la maison du Roi, à savoir: "Jean Laubier, fifre; Claude le Bœuf, fifre; Claude Mazurier, fifre; Jean Danican dit Filidor, fifre [23]."
En 1702, dans les Comptes de la maison de Roi, menus plaisirs :
- Etat de la Depense faite a cause du Te Deum qui a esté chanté dans l'Eglise de Nostre Dame de Paris le 26 octobre… pour la victoire remportée en la bataille de Fridlingue en Allemagne. Pour 2 tambours et 1 fifre [des Cent Suisses], a raison de 3 lt chacun, pour avoir assisté audit Te Deum.
Les fifres de la Grande Ecurie voyagent énormément en compagnie du Roi. Par exemple, le 18 décembre 1685, dans les papiers du Grand Ecuyer [25]: "aux 8 Tambours et Fifres de ma grande Ecurie, pour leurs extraordinaires pendant les voyages de Chambord et Fontainebleau, depuis le 3è septembre jusques au 14è novembre de la présente année." Ils vont aussi à Chalons, Fontainebleau, Chambord, Alsace, Franche Comte, Luxembourg, Compiègne, Mons, Chantilly, etc. [26]
Marcelle Benoît dans son livre Les musiciens du Roi de France entre 1661 et 1733 nous donne une aussi idée de leur fonction lors des cérémonies [27]:
- Anciennement affectés à l’Armée, les quatre fifres et quatre tambours, en devenant « de la Chambre et Grande Ecurie », réunissent en réalité des joueurs de plusieurs instruments à vent et à percussion, selon les besoins des cérémonies: flûte, flageolet, hautbois, basson; tambour, tambourin, caisse, timbales. Certains, comme François Matrot, pratiquent à la fois l’un et l’autre. Dans leurs rangs se comptent aussi des hommes dont nous retrouvons les noms parmi les trompettes.”
- Cette classification artificielle ne doit pas cacher une réalité: celle d’une réserve d’une quarantaine d’instrumentistes à vent et quelques percussions mis à la disposition du souverain en de multiples occasions: sonner à la tête des chevaux du carrosse du Roi ou de la Reine au cours de leurs entrées dans les bonnes villes de France; participer aux Te Deum, aux transports de drapeaux, aux entrées d’ambassadeurs, aux lits de justice; aux sacres, aux mariages et pompes funèbres des princes; etc…Où ne se montrent-ils pas?
- Vu la rareté des instruments à vent et l’absence de ceux à percussion parmi le personnel de la Chapelle et de la Chambre, le département de l’Écurie fournira ce précieux renfort à l’orchestre dans les grands motets, les divertissements, les bals et les opéras prévus pour le service ou le plaisir de Sa Majesté."
Il y a deux formations officielles possibles: soit la composition des Cent Suisses avec 3 à 5 Tambours et un fifre ou celle de la Grande Écurie avec 4 fifres et 4 tambours. Une troisième, moins précise, est celle des occasions festives. Le nombre exact de fifres n'est pas mentionné.
Outre ces statistiques, nous possédons quelques descriptions des joueurs de fifre Suisse à la cour tirés de du livre La musique à la cour de Louis XIV et Louis XV, d'après les Mémoires du Marquis de Sourches et du Duc de Luynes (1651 – 1758): Versailles, le 14 février 1751:
- Au sortir du salut, les Suisses ont fait demander par Mme de Chevreuse la permission à la Reine de faire leur exercice ordinaire devant elle dans l’appartement; ils sont en culottes rouges et en chemises; ils ont un Arlequin et un Scaramouche. Leur exercice est une espèce de danse au son du fifre et du tambour. La Reine l’a trouvé bon; et étant revenue dans son salon, elle a fait laisser la porte de la galerie ouverte, et elle a resté une demi-heure à regarder cette espèce de danse qui s’est faite dans la galerie. [28]
Et aussi quelques témoignages plus tardifs quant à l'évolution de l'instrument car le fifre est de plus en plus substitué par le hautbois.
L'ordonnance de 1755 (BnF Paris, Instructions pour les tambours et diverses batteries de l'ordonnance [de 1755] FRBNF39317141) le montre clairement en attribuant la partie musicale pour fifres et hautbois. Kastner, dans son Manuel militaire commente l'évolution du fifre: "du reste, cette infériorité se faisait remarquer aussi bien parmi les instruments et les instrumentistes que dans le nombre et la valeur des compositions [29]." "Depuis quelques temps", dit Laborde dans son Histoire de la musique (publié en 1780), "on a substitué dans les musiques de régiment la petite flûte au fifre, parce que ce dernier est bien plus faux que la petite flûte, n'ayant pas de clef comme elle." Jean-Jacques Rousseau, qui, par la suite, se plaignit de cette suppression, les fifres, selon lui, égayant beaucoup la marche, avoue cependant qu'ils étaient excellents dans les troupes étrangères, et détestables dans les nôtres. Au reste, la loi n'avait point autorisé cette suppression des fifres. S'ils étaient tombés en désuétude, c'est que depuis la guerre de sept ans les colonels avaient déjà commencé à donner, de leur propre mouvement, à leurs joueurs de fifres, des instruments non avoués par les ordonnances, et cela, sans doute, parce que ces instruments leur paraissant offrir, sous le double rapport de la justesse et de la sonorité, des qualités que les autres ne possédaient point, ils trouvaient tout naturel qu'on ne se fit aucun scrupule de leur accorder la préférence.
Les hautbois et les trompettes n'étaient pas meilleurs que les fifres. "C'est une chose à remarquer, dit encore Rousseau, que, dans le royaume de France, il n'y a pas un seul trompette qui sonne juste, et la nation la plus guerrière de l'Europe a les instruments les plus discordants. Durant les dernières guerres, vers 1756, les paysans de Bohême, d'Autriche et de Bavière, tous musiciens nés, ne pouvant croire que les troupes réglées eussent des instruments si faux et si détestables, prirent tous ces vieux corps pour de nouvelles recrues, et l'on ne saurait dire à combien de braves gens des tons faux ont coûté la vie; tant il est vrai que dans l'appareil de la guerre il ne faut rien négliger de ce qui frappe les sens." (J.J. Rousseau, Dictionnaire de musique, art. Fanfare.) Le même auteur fait en revanche l'éloge des musiques allemandes, et atteste que, de toutes les troupes de l'Europe, celles de l'Allemagne pouvaient passer pour avoir les meilleurs instruments.