A) L’appoggiature et la petite note
Bien que la manière de la nommer, de l’exécuter et de la noter ait varié, l’appoggiature est toujours demeurée en usage chez les guitaristes français pendant la période de 1770 à 1830. Il s’agit certainement de l’agrément qu’ils ont le plus utilisé. Cependant, les méthodes les plus anciennes (Corette 1762, Bailleux 1773, Baillon 1781) ne la présentent pas dans leur section portant sur les agréments. Nous retrouvons néanmoins des appoggiatures dans les œuvres contenues dans les méthodes de ces auteurs. Au contraire, elle fera partie des agréments que l’on retrouve souvent dans les méthodes de la fin de la période. L’appoggiature faisait partie de l’exécution de la musique française bien avant 1770. Robert Donington souligne sa présence chez D’Anglebert dans les Pièces de clavecin (1689), chez Hotteterre dans les Principes de la flûte traversière (1707) et chez Dieupart dans les Suites de clavecin (v. 1720). [1] Ces auteurs n’utilisaient pas l’appellation « appoggiature », qui s’impose seulement en France au début du XIXe siècle. D’Anglebert et Dieupart nomment « port de voix » l’appoggiature ascendante et « cheute ou chûte » l’appoggiature descendante. Hotteterre nomme cette dernière « coulement », bien qu’il précise qu’il « ne se pratique guère que dans les intervalles de tierces en descendant ». [2] En plus des expressions « port de voix » et « chute », les vocables « accent », « appuie » et « coulé » étaient aussi en usage dans la France de l’époque baroque. Héritiers de cette pratique terminologique variable, les guitaristes de notre période utilisent des termes dont la signification s’est stabilisée vers 1810.
La question est particulièrement embrouillée chez les guitaristes ayant publié autour de 1800. Le premier à mentionner l’appoggiature est Trille LaBarre vers 1797. Il nomme l’appoggiature descendante « chute » [3] et celle qui monte « coulé ». [4] Presque à la même époque, Charles Doisy utilise « port de voix » pour l’appoggiature ascendante. [5] Phillis ne simplifie pas le débat; il renverse en effet l’appellation de Doisy et de LaBarre en nommant « chute » ou « son porté » l’appoggiature ascendante, en plus d’appeler « tirade » celle qui descend. [6] Après 1800, la terminologie se stabilise et les guitaristes utilisent généralement les termes « appoggiature » ou « petite note d’agrément ».
En ce qui concerne l’exécution de l’appoggiature, deux questions de première importance se posent. Nous devons d’abord savoir si elle doit être exécutée rapidement ou lentement. Il faut ensuite déterminer si elle doit être retranchée à la valeur de la note qui suit ou de celle qui précède. Les réponses à ces questions varient pendant notre période. D’abord, en ce qui concerne la vélocité avec laquelle elle doit être exécutée, un consensus se dégage des traités musicaux importants du XVIIIe siècle. Clive Brown nous résume la position de plusieurs auteurs : « The theory promulgated by Tartini, Quantz, Leopold Mozart, C.P.E. Bach, and others in the mid-eighteenth century, that an appoggiatura should normally take half of a binary main note and two-thirds of a ternary main note, was widely repeated by eighteenth- and nineteenth-century authors. » [7] La plupart des guitaristes français sont d’accord avec ce principe. L’exemple 1, tiré de la Nouvelle Méthode (v. 1803-1804) d’Antoine Marcel Lemoine, démontre l’exécution des appoggiatures.